La forêt naturelle
Afin de mieux connaître la forêt et sa gestion naturelle, nous avons pris contact avec un expert forestier, Jacques Hazera. Nous aurions souhaité qu'il vienne nous faire une conférence, mais il a préféré que nous allions voir sur place. Le samedi 11 avril, nous nous sommes retrouvés aux Pijoulets à Hostens pour une visite guidée. Ce fut une journée magique, commencée avec un temps incertain mais le soleil revenu nous permit de pique-niquer sans crainte dans la nature avec notre hôte. Nous sommes revenus avec la certitude de ne plus regarder les arbres de la forêt naturelle de la même façon qu'avant. Voici le compte rendu de ce que nous a appris Jacques Hazera.
À Hostens chez Jacques Hazera, la régénération naturelle
À l’initiative d’EBA et l’invitation de Jacques Hazera, expert forestier et vice-président de Pro Silva France, un groupe d’une dizaine de personnes a pu visiter son exploitation forestière, aux Pijoulets à Hostens.
Le type de gestion de la forêt prônée par Pro Silva est fondamentalement différent de ce qui se fait habituellement dans les forêts de pins d’Aquitaine. Au lieu de se focaliser sur le volume de bois récolté à l'hectare, le sylviculteur cherche à produire du bois de très bonne qualité dont on peut espérer qu'il sera vendu à un prix bien plus élevé que celui proposé pour du bois destiné à la trituration ou à la caisserie. Malheureusement, le marché actuel du bois de pin ne rémunère pas bien les produits de qualité ; toutefois, le raisonnement qui est fait ici est que des arbres de haute valeur technologique auront toujours un avantage décisif lors de leur commercialisation, quels que soient les débouchés existants, étant donné qu'ils sont à même de satisfaire tous les utilisateurs et que leur production n'engendre aucun surcoût. L’importance de l’industrie de la pâte à papier dans la région n’est sans doute pas étrangère au fait que la production locale soit plus orientée vers le volume que vers la qualité.
On reconnaît généralement un arbre de qualité à quelques critères simples :
- sa rectitude (son fût est bien droit sur une hauteur importante, par exemple 6 mètres) ;
- sa branchaison est fine ou absente tout le long de ce fût (une branche sur le tronc = un nœud dans le bois) ;
- son houppier est dense et bien étalé (c'est le moteur de l'arbre, le siège d’une photosynthèse active qui lui assure une bonne croissance)...
- ... et sa croissance qui ne doit pourtant pas être trop rapide (du moins pour les résineux).
Le pin maritime réagit mal à un sol trop riche, ou aux apports d'engrais : sa croissance devient trop rapide et son bois est alors plus tendre. Le ralentissement de la croissance dû autrefois au gemmage était à l’origine de l’incroyable solidité du bois de pin gemmé. C’était un bois à cernes plus serrés, plus riche en résine ce qui d’ailleurs est un problème lors de sa mise en œuvre car la résine salit rapidement les outils.
La production de ces arbres de qualité va se faire au sein d’un écosystème forestier aussi naturel que possible. La biodiversité est recherchée car elle rendra la forêt plus résistante aux agressions climatiques et à celles des parasites. S’appuyer sur les processus naturels permet également de minimiser les dépenses énergétiques.
La première parcelle présentée par M. Hazera a été plantée selon la méthode conventionnelle, sur labour en bandes. On voit de beaux alignements de pins laricio dont les troncs clairs contrastent avec ceux plus sombres de quelques pins maritimes qui se sont semés naturellement parmi eux.
Ces pins laricio ont 20 ans mais n’atteindront leur plein développement qu’au bout d’une centaine d’années. L’entretien actuel de ce peuplement consiste à supprimer les branches le long du tronc tant qu’elles sont petites afin de produire un bois sans nœuds. Par la suite il sera réalisé, régulièrement, des éclaircies très progressives. Le sous-bois, lui, est laissé à l’état naturel et présente un fouillis d’arbustes (ajoncs, genêts, bruyères) et de jeunes feuillus.
La question des incendies est immédiatement posée : on sait que le débroussaillage des sous-bois est généralement considéré comme la meilleure prévention des incendies de forêt, voire même comme la seule. La réponse de M. Hazera est nuancée. Sachant que les incendies sont pour la plupart d’origine humaine (imprudence ou malveillance), les parcelles à l’écart des routes et de la fréquentation touristique sont moins vulnérables. En quadrillant la forêt de voies bien entretenues permettant l’accès des véhicules de lutte contre le feu (cf. photo), on minimise les risques. La présence de feuillus dans le sous-bois est sans doute aussi un facteur limitant le danger. L’équilibre entre le coût écologique et économique d’un débroussaillage et le risque d’incendie doit être évalué au cas par cas. Si cette exploitation forestière a été durement touchée, à 10 ans d’intervalle, par les ouragans Martin et Klaus, elle n’a jamais subi d’incendie.
La deuxième parcelle observée montre les résultats d’une tentative de régénération semi-naturelle. En 2005 le sol a été sommairement préparé par le passage d’un rouleau landais qui a broyé la végétation et travaillé le sol sur une dizaine de cm. Cette parcelle porte quelques pins adultes qui ont ensemencé naturellement la zone ainsi préparée. Un an après, de tout jeunes semis commençaient à peine à être visibles et, par crainte de manquer de densité, quelques feuillus ont été plantés en supplément.
Le peuplement que l’on observe a donc 10 ans d’âge. C’est un peuplement très dense, de pins de diamètres et de hauteurs variables. En concurrence pour la lumière, chaque arbre a poussé le plus haut possible. Les moins compétitifs sont déjà morts alors que les plus vigoureux montrent un dynamisme spectaculaire. Cette méthode permet donc une sélection sévère et efficace des sujets les plus vigoureux, tout en leur offrant les conditions idéales pour une bonne éducation, gage de qualité. Dans les bons terrains, c’est à partir de 11 ou 12 ans que l’on pratique le premier éclaircissage en sylviculture conventionnelle : on enlève une partie des arbres de façon à favoriser la croissance de ceux qu’on laisse.
Le bois récolté est une source de revenu, peu importante à vrai dire car c’est du bois de faible valeur économique (bois de trituration) et le coût de l’éclaircissage est élevé.
Monsieur Hazera préfère procéder autrement. Il pratique des éclaircies tardives : pas avant 15 ans, 18 ans, voire même plus tard. Pour choisir les arbres à favoriser et ceux à couper (c'est le martelage), il ne porte son attention que sur les arbres les plus vigoureux (les dominants), parmi lesquels il repère les plus beaux (ceux ayant le meilleur potentiel d'avenir) et, si ces beaux sujets sont gênés par des rivaux (des co-dominants) de moindre qualité, il supprime progressivement ces rivaux. Si deux beaux arbres sont trop proches, il peut être nécessaire d'en sacrifier un. Quant aux arbres mal venus et chétifs de la parcelle, ils disparaîtront naturellement sans autre intervention. Dans une propriété voisine à l'état d'abandon, un peuplement de pins d’une trentaine d’années s’est ainsi éclairci naturellement et a maintenant, sans intervention humaine, des pins magnifiques, en pleine croissance, et de qualité bien supérieure à la plupart des plantations conventionnelles.
La densité d’un semis naturel (de 20.000 à 100.000 sujets à l’ha contre 1.000 à 1.500 plants en conventionnel) permet une exploitation maximale de l’énergie solaire reçue par la parcelle. De plus, en sylviculture conventionnelle, la mise en place de jeunes plants est précédée de deux ou trois ans de jachère, période pendant laquelle le sol est mis à nu, avant d'être labouré, puis planté.
Les inconvénients des labours sont maintenant bien connus : déstructuration des sols, lessivage accéléré des éléments minéraux, libération de gaz carbonique dans l’atmosphère. Certains agriculteurs ont d’ailleurs développé des techniques alternatives pour éviter les labours. Le labour est sensé aérer et ameublir le sol pour favoriser l’enracinement des jeunes arbres. Mais un sol est naturellement ameubli par l’activité de la faune qu’il abrite, par le travail des racines qui s’y enfoncent. Autrement dit : ce n'est pas quand le sol est nu qu'il se repose, mais quand il est en production !
C’est le passage de lourds engins d’exploitation qui tasse le sol, d’autant plus que ces interventions se font souvent sans précautions, impactant plus de surface que nécessaire.
Malheureusement, le sol est généralement conçu comme un simple support. Certes, on n’oublie pas qu’il fournit aux plantes l’eau et des éléments nutritifs, mais le considérer comme un écosystème à part entière n’est pas encore une démarche courante. De même, on se focalise beaucoup trop sur les concurrences, sans voir que le mutualisme et les symbioses ont des effets bien plus importants (et très positifs) dans le fonctionnement naturel du vivant.
Si on laisse au sol la part qui lui revient dans l’écosystème forestier, le dessouchage apparaît comme contre-productif. La décomposition des souches assure la vie d’innombrables organismes : champignons, bactéries, insectes xylophages qui serviront eux-mêmes de nourriture à d’autres animaux. Les réseaux alimentaires complexes qui s’établissent pourront s’opposer aux pullulations de «parasites» caractéristiques des agro-systèmes hyper-simplifiés. Dans le cas de contamination d’un peuplement par des champignons parasites du type fomès par exemple, il est peu probable que le dessouchage permette d’éradiquer l'infection car les racines fines qui restent en terre après l’opération contiennent des lambeaux du mycélium. Or c'est pourtant le prétexte qui est mis en avant pour inciter les sylviculteurs à extraire les souches.
La solution conseillée par le Ministère de l’Agriculture est de reboiser avec une espèce insensible au parasite, des feuillus si possible mais, dans bien des cas, cette solution est inapplicable dans notre région, à cause de la pauvreté de nos sols.
En résumé : en sylviculture conventionnelle, la remise en exploitation d’une parcelle dont on vient de récolter la totalité de la production (coupe rase) va comporter les opérations suivantes: dessouchage, débroussaillement, période de jachère, nouveau débroussaillement, labour, plantation de jeunes pins achetés en pépinière (et dont les racines ont été tranchées par un système mécanique afin d'éviter la malformation du système racinaire, mais ces perturbations artificielles des racines ne peuvent pas être sans conséquences sur l'ancrage des arbres). D'autre part, l'espacement des plants ne permet pas d’utiliser la totalité de l’énergie solaire reçue par la parcelle, énergie qui favorise cependant la croissance de graminées autour des plants d’où le recours classique aux entretiens mécanisés, à l'aide de matériel lourd pour limiter la concurrence herbacée; cela se fait au détriment du milieu. Heureusement, l'utilisation des produits chimiques est aujourd'hui interdite en forêt, à de rares exceptions près. Toutefois, une fertilisation phosphatée est souvent appliquée au moment de l'installation, ou dans les premières années du peuplement.
Toutes ces opérations et les coûts qu'elles génèrent (écologiques et économiques) sont inutiles si on laisse se faire une régénération naturelle. De plus, dans les conditions d’une régénération naturelle, la densité des jeunes semis favorise leur croissance en hauteur, garante de grumes de belle longueur. Ce n’est que par la suite que le sylviculteur interviendra pour obtenir une bonne croissance en diamètre. Il est noté au passage que les dégâts faits par les herbivores (surtout les chevreuils) sont bien moindres dans une forêt présentant une grande densité et une grande biodiversité végétale que dans des plantations offrant à perte de vue de jeunes arbres « prêts à consommer ».
Dans la parcelle en régénération semi-naturelle dont il a été question précédemment, se trouvent des espaces où les semis n’ont pas poussé. La végétation de ces zones est essentiellement composée de fougère-aigle qui est un obstacle important à la régénération. En effet lorsque les graines de pin germent au printemps, les jeunes plantules sont vite rattrapées par les frondes de fougère qui, bien que démarrant plus tard que les pins, ont une croissance plus rapide. Quand la fougère est complètement développée, le jeune pin se retrouve à l'ombre, il manque de lumière, s'étiole, et stoppe sa croissance.
À l'automne, la fougère fanée se couche sur lui. Au printemps suivant, c'est un pin chétif et tout déformé qui cherche à nouveau à se développer, mais le même scénario se reproduit, et la fougère représente ainsi un handicap très fort pour les pins. Il faut toutefois remarquer que ce scénario n'est pas limité aux semis naturels, mais que ce sont tous les reboisements qui en pâtissent et, d'autre part, au bout de quelques années, quelques pins finissent par passer au-dessus de la fougère, puis il en vient d'autres, puis d'autres et, à la fin, la zone est boisée. Souvent, c'est surtout par la bordure de la zone que les pins arrivent à gagner progressivement du terrain : la trouée se réduit progressivement. Enfin, il est également possible, pour un coût relativement modéré, de recourir à des interventions sur la fougère afin d'aider les jeunes arbres.
Cela est conforme à ce que l’on connaît de la dynamique végétale : en France, hormis dans des zones d’altitude, le «climax» (état stable de la végétation hors intervention humaine) est la forêt.
La troisième parcelle observée correspond à une zone ravagée par l'ouragan Klaus de 2009 où, sous les quelques adultes rescapés, s'est déjà installée une régénération naturelle abondante et diversifiée. Cette parcelle, qui commence nettement à se structurer verticalement, offre une illustration exemplaire de ce que peut être un peuplement irrégulier (c'est-à-dire dans lequel les arbres sont d'âges et de hauteurs variée : des grands, des moyens, des petits, des semis...). Diverses espèces y cohabitent : résineux, feuillus, arbustes comme la bourdaine ou l’aubépine. Là encore, la totalité de l’énergie lumineuse tombant sur la parcelle est utilisée pour produire de la matière végétale. Cette productivité primaire très élevée ne se traduira pas à court terme par des bénéfices en espèces sonnantes et trébuchantes, mais sera récupérée lentement, à long terme, pour fournir de la matière organique permettant de régénérer le sol. Ainsi, les arbres qui meurent naturellement par l'effet de la concurrence ne rapportent rien financièrement, mais alimentent le cycle de décomposition dans le sol, source d’humus et de recyclage des ions minéraux indispensables. Quand on fait le bilan d’une exploitation, il n’y a pas de raison de laisser de côté les bénéfices écologiques même s’ils sont difficilement quantifiables, ou différés dans le temps. Sur une parcelle ainsi conduite, les arbres d’âges différents assureront un revenu étalé dans le temps. La récolte des arbres arrivés à «maturité» favorisera la croissance des arbres un peu plus jeunes : c'est un cycle continu qui commence.
Non loin de là, dans une zone au sol un peu plus riche, poussent de jeunes chênes dont certains ont déjà très belle allure. Des chênes en sylviculture dans les Landes ? Une hérésie, vous dira-t-on partout ! Le chêne serait trop gélif (sensibilité au gel se manifestant par une fente longitudinale du tronc). Pourtant cette essence est une valeur à ne pas négliger car il existe bien des chênes vigoureux, de bonne qualité, et résistants à la gélivure. En outre, cette gélivure n'est pas forcément rédhibitoire pour un des marchés les plus rémunérateurs: la tonnellerie. Bien entendu il s’agit d’une espèce noble ayant aussi des débouchés en menuiserie et ébénisterie.
L’après midi, nous nous déplaçons à Louchats pour observer une parcelle de forêt où les pins sont à maturité. On aperçoit sur la photo ci-après qu’ils portent tous une petite plaquette métallique : c'est que chaque arbre est numéroté afin de permettre un suivi individuel régulier de sa croissance en circonférence.
Ce sera d'autant plus intéressant qu'il s'agit de pins centenaires et qu'ils sont issus d'une sylviculture non conventionnelle.
Certains de ces pins de 40 m de hauteur totale ont une bille droite et sans nœud de 10 à 15 m, leur volume unitaire varie entre 4 et 8 m³ et le volume à l'hectare est de 600 m³.
Le plus beau de tous, le Pin-Président, a une circonférence de 258 cm, et une vigueur de jeune homme! Pour des arbres aussi nobles, reste encore à trouver des débouchés... nobles.
Il est 16H, la visite est terminée. Après un détour par une houssaie, nous nous extasions sur un laurier des bois en fleurs où des centaines d’abeilles noires sont au travail.
Il est temps pour nous de rentrer et de quitter notre hôte en le remerciant pour cette visite agréable et très enrichissante.
Compte rendu élaboré par Monique Joyeux
Crédit photo: Christian Hauttecoeur, Monique Joyeux
Date de dernière mise à jour : 11/04/2018
Commentaires
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- 1. Hauttecoeur Le 22/04/2015
Voilà un magnifique compte rendu sur le travail forestier intelligent, responsable, économique et écologique.
Pas besoin de gros moyens mécaniques.
Une vision de la forêt au naturel aussi pour les générations futurs.
Une approche respectueuse de la biodiversité végétale et animal.
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